Fleuves, inondations, plages et milieu marin : pour une approche intégrée en Méditerranée

Les fleuves constituent des écosystèmes remarquables qui méritent d’être
protégés pour eux-mêmes. En outre, ils apportent à la mer une partie des sels nutritifs
(azote, phosphore) nécessaires à la photosynthèse et de la matière organique qui sert de
base à certains réseaux trophiques. Lors des crues, un processus naturel et nécessaire,
les fleuves apportent également des sédiments et des bois flottés, qui jouent un rôle
important dans l’édification des plages et dans le fonctionnement de l’écosystème DBB
(Dune, plage, banquette de feuilles mortes de Posidonia oceanica) de Méditerranée.
Contrairement à une idée reçue, les crues ne sont pas plus importantes
aujourd’hui qu’au cours des siècles passés ; c’est même sans doute le contraire. La
mémoire humaine est aujourd’hui relativement brève (moins de 50 ans), et le problème
est que l’on a construit dans le lit majeur des fleuves, contrairement à nos ancêtres,
dont la mémoire souvent orale pouvait s’étaler sur plusieurs siècles. En Méditerranée,
les prairies à P. oceanica constituent la principale ‘usine à sable’ qui, avec les sédiments
venus des fleuves, alimente les plages. En outre, les prairies à P. oceanica exportent
des feuilles mortes vers les plages, où elles constituent provisoirement des ‘banquettes’
qui les protègent de l’érosion. Ces banquettes font partie du patrimoine méditerranéen
et de son identité culturelle. Par méconnaissance de ce rôle, par méconnaissance des
souhaits réels des touristes et des résidents (qui peuvent accepter les banquettes) et
sous l’influence de tour-operators qui souhaiteraient en quelque sorte ‘vendre’ des
plages polynésiennes, la plupart des collectivités territoriales procèdent à l’enlèvement
(illégal) des banquettes. Cet enlèvement a pour conséquence la régression des plages,
régression compensée par de coûteuses et inefficaces opérations de ré-ensablement.
En outre, les feuilles mortes de P. oceanica des banquettes ont vocation à retourner en
mer, lors de tempêtes, à y participer aux réseaux trophiques côtiers, et donc à jouer un
rôle dans la ressource halieutique, à la base de la pêche artisanale.
Au total, la gestion des fleuves, des crues, des plages, de la pêche artisanale et
des habitats côtiers devrait faire l’objet d’une réflexion intégrée et d’une évaluation des
bénéfices et des coûts écologiques (y compris les services écosystémiques), sociaux
et économiques, qui ne soient pas centrées sur des considérations partielles (e.g.
barrages, inondations, tourisme balnéaire, banquettes ou prairies à P. oceanica), mais
sur les interactions entre tous ces éléments.